Vous le savez peut-être, il m’arrive
de traduire des nouvelles thaïlandaises contemporaines (certaines sont publiées
dans la revue “Jentayu” que je recommande chaudement à tous les passionnés de littérature
asiatique) ; je vous en propose donc une aujourd’hui, “Petit garçon, petit
caméléon”, due à un auteur peu connu, Solot Saengduan. Comme je l’aime beaucoup,
je souhaite la faire connaître. A vous de me dire ce que vous en pensez.
Un
caméléon – ou est-ce un lézard ? – creuse, dans la terre, comme une espèce de
trou. Il fait deux ou trois tours sur lui‑même, puis se met en position, comme s'il
allait se soulager ou bien pondre dans ce trou. Ses gros yeux exorbités
roulent, regardant tout autour, comme s'il craignait quelque danger. Il gratte
la terre pour reboucher le trou et... pfuitt... il s'enfuit rapidement.
Cette
petite bête-là ne sait pas que, depuis qu'il a commencé, Kong la regardait en
catimini. Kong aime bien venir en cachette ici, derrière l'école, à la lisière
de la plaine, et s'y asseoir, sans parler. On ne peut pas dire qu'il y ait des
bosquets, ni que ce soit vraiment une friche, mais elle plaît à Kong telle
qu'elle est, parce qu'il y trouve tout plein de choses qui ressemblent à chez
lui. Enfin, ce n'est pas chez lui, c'est chez papa.
Kong a
envie de prendre un morceau de bois et d'aller gratter la terre là où le
caméléon – ou bien le lézard – a enterré quelque chose. Mais il a peur d'y
trouver des bébés caméléons, tous rouges, qui pleureront, cherchant leur maman.
Et puis Kong n'a pas de lait pour qu'ils tètent.
Aujourd'hui,
c'est samedi, mais personne n'est venu chercher Kong pour le conduire à la
maison. Certains de ses petits camarades sont partis chez eux, tout contents.
Aucun de ceux qui restent n'a l'air de s'amuser. Le maître ne sourit pas du
tout, sauf quand il y a des parents qui viennent.
Et nous y
revoilà ! Kong en a vraiment assez ! Le maître va leur faire prendre une douche
et se laver les cheveux ! Imaginez un peu : Kong et ses camarades sont déjà
grands ! Le maître les fait encore se mettre tout nu, tous ensemble, les filles
comme les garçons ! Et puis il leur apprend à prendre une douche, et à se laver
les cheveux comme il faut ! Il faut se servir d'un bon shampooing, frotter
doucement, se pencher à droite, se pencher à gauche, et puis je ne sais trop
quoi encore ! Le bouquet, c'est quand le maître prend une immense serviette de
toilette qu'il vous bouchonne sur la tête, puis qu'il vous frotte, vous
frictionne, puis qu'il tire tant que la tête de Kong pourrait presque partir
avec la serviette ! C'est comme çà ! Kong se tient maintenant debout, bras et
jambes écartées, pour que le maître lui enfile ses pyjamas. Aujourd'hui, Kong
met des pyjamas bleu‑pâle. Ce sont des pyjamas de petit Japonais. C'est sa
maman qui l'a dit à Kong, parce que c'est elle qui les lui a achetés.
Kong ne
dort jamais vraiment, quand il couche à l'école, parce que, à peine a-t-on
terminé, avec lui, la prière du soir, que le maître donne l'ordre de se mettre
au lit, alors que Kong n'a pas encore sommeil. Le maître va et vient,
surveillant tous les lits, pour voir qui ne dort pas encore. Kong doit donc
faire semblant de dormir et, à chaque fois, s'il s'endort, c'est par un effort
de volonté.
Cette
nuit, le maître qui surveille d’habitude le dortoir n'est pas là ou bien, c'est
spécial, parce que c'est samedi ; Kong n'en sait rien. Les enfants peuvent se
coucher à l'heure qu'ils veulent, à condition, bien sûr, que ce ne soit pas
plus tard que huit ou neuf heures. Certains des camarades de Kong regardent la
télé, d'autres jouent à cache-cache dans les serviettes de toilette qui sont
étendues, d'autres enfin jouent à la poupée.
Kong a
une petite sœur, elle s'appelle Koy. Koy habite chez grand-mère. Grand-mère
emmène Koy avec elle, partout où elle va. Grand-mère aime Koy bien plus qu'elle
n'aime Kong. A chaque fois que Kong rentre à la maison, quand personne ne fait
attention, Kong frappe et cogne Koy. Et Koy pleure à chaudes larmes. Mais
attention, hein ! Personne ne sait que Kong tourmente ainsi sa petite sœur. Koy
a beaucoup de poupées. Elle en a des grandes, des petites, certaines sont même
plus grandes qu'elle.
D'habitude,
tous les samedis, grand-mère envoie quelqu'un pour chercher Kong et le conduire
à la maison ; quand vient le lundi, on le ramène à l'école. Sans cela, si
grand-mère n'est pas libre, eh bien ! Kong se passe de rentrer à la maison. Et
même s'il rentre à la maison, cela ne veut pas dire qu'il soit sûr de voir papa
et maman. Certaines fois, maman vient le voir, elle emmène Kong pour lui
acheter des jouets, des vêtements, lui fait manger des crèmes glacées
délicieuses, puis elle le reconduit chez grand-mère. Des fois, papa envoie
l'oncle Cha pour le prendre et Kong va chez papa, dans sa maison, au camp des
soldats.
C'est la
maison de papa, au camp des soldats qui, se dit Kong, ressemble à la plaine,
derrière l'école : il y a un grand espace libre, comme ici, et c'est en friche,
tout pareil, parce que papa n'a qu'un seul soldat pour le servir, et que ce
soldat doit tout faire, balayer la maison, laver et repasser le linge,
entretenir la voiture, acheter des gâteaux pour Kong et c’est vrai ! aussi
s'occuper des poules ! Le papa de Kong a construit une grande cage et dedans,
il y a beaucoup de poules, et elles pondent beaucoup d'œufs. Quand papa fait
venir Kong chez lui, il fait aussi, toujours, venir une femme. Des fois, Kong
va se cacher toute la journée dans le poulailler, sans vouloir en sortir, des
fois, Kong, exprès, téléphone à maman, et lui parle, pour que cette femme
entende et qu’elle ne vienne plus voir papa.
Kong se
dit que papa l'aime plus qu'il n'aime cette femme parce que, des fois, quand
Kong doit passer un examen, Kong fait semblant de pleurer, pour que papa
l'accompagne et l'attende, assis à l'extérieur de la salle d'examen. Papa
accepte de venir et, en plus, il achète à Kong plein de crayons, qu'il lui
taille, tous, bien comme il faut. Kong est heureux que papa l'aime beaucoup,
alors il rit avec lui, ils se font des signes en haussant les sourcils, ils
louchent, puis Kong dessine tout plein de choses amusantes sur sa copie, mais
il n'a pas résolu une seule question du problème. Ce n'est pas cela qui
l'intéresse à ce moment‑là !
Et maman
aussi aime beaucoup Kong. Mais des fois, Kong a comme l'impression qu'elle ne
l'aime pas du tout. Auparavant, avant qu'il n'entre à l'école, Kong, des fois,
ne voyait pas maman pendant plusieurs jours. Il ne voyait pas papa non plus.
Des fois, il ne voyait même pas grand-mère. Il ne savait pas où ils partaient
tous. Kong pensait à papa et à maman, et il pleurait fort, et il se tirait les
cheveux, qu'il arrachait par touffes. Quand il est en colère, ou mécontent de
quelqu'un, Kong, à chaque fois, s’arrache encore les cheveux, et puis il jette
tout ce qui est à portée de sa main.
Kong
pense à papa et à maman, puis il pense à ce caméléon. En secret, Kong va
gratter à l'endroit où le caméléon a caché quelque chose dans un trou. Kong y
trouve deux œufs, tout petits. Pendant plusieurs jours, Kong se glisse pour
bien observer, mais il ne voit pas venir la maman caméléon, pas une seule fois
! Encore un jour, et Kong va gratter à nouveau. Il ne trouve que des coquilles
vides. Sans doute les petits caméléons sont-ils déjà éclos. Avec qui sont‑ils
donc allé vivre ? Et ont‑ils une grand-mère, comme Kong et sa petite sœur Koy ?
Kong n'en sait rien.
Kong
voudrait aimer quelqu'un, quelqu'un qui l'aimerait vraiment, pas quelqu'un qui
ferait semblant de l'aimer. Et papa, alors ? Kong n'est plus très sûr que papa
l'aime vraiment. Des fois, il fait comme s'il ne s'intéressait pas du tout à
Kong. Et, en plus, il le gronde, quand Kong se moque, au nez de cette femme.
Pour maman, elle se couche tard et se lève de même tout le temps. A chaque fois
que Kong lui téléphone, elle refuse de se lever. Et grand-mère, elle aime
emmener Koy, la petite sœur de Kong, chez ses amis.
Kong a eu
une idée : il va prendre un œuf de poule, et l'enfouir dans la terre, derrière
le poulailler. Quand il sera éclos, comme les petits caméléons, Kong aura
quelque chose à aimer, et sera aussi aimé. Mais le plan de Kong est tombé à
l'eau et, en plus, papa l'a grondé très fort, parce que cette espèce de soldat
est allé cafarder !
Kong
téléphone à maman pour lui dire que papa l'a grondé : le gardien de la maison
lui dit que maman n'est pas là, qu'elle est partie à l'étranger, pour sa lune
de miel, et qu'elle ne reviendra pas de sitôt. Kong est en colère et ne sait
alors plus très bien quoi faire ; alors, il jette le récepteur du téléphone,
plusieurs fois, contre le mur, jusqu'à ce qu'il se brise. Grand-mère donne une
correction à Kong, à s'en rompre la main. Kong ne sanglote pas, mais de grosses
larmes coulent de ses yeux. Koy, de sa démarche malhabile, vient chercher Kong,
et lui donne une poupée pour qu'il joue. Kong repousse avec force et Koy et la
poupée. Koy tombe et pleure.
Il y a
deux ou trois jours, c'était l'anniversaire de Kong. Papa avait organisé une
fête, pour lui, dans sa maison, au camp des soldats. Beaucoup d'enfants étaient
là et il y avait tout plein de crème glacée, des tas de ballons, et un énorme
gâteau, que Kong devrait, en plus, découper lui-même. Kong avait un nouveau
costume blanc et sa petite sœur aussi. Kong a reçu plein de jouets en cadeau et
Koy aussi, alors que ce n'était même pas son anniversaire à elle.
Cette
femme, elle avait tout pris en mains. Kong a fait comme s'il l'ignorait. Un
jour, Koy, là, avait fait quelque chose de méchant, elle avait appelé cette
femme maman ! Cela n'avait pas plu du tout à Kong. Quand est venue l'heure de
découper le gâteau, cette femme a apporté à Kong un gros paquet-cadeau. Papa a
dit à Kong : « Prends-le et dis merci à maman ». Kong a répondu que
non. Papa a souri, et a répété à Kong : « Dis merci à maman ». Kong a
répondu que non. A ce moment-là, papa, le visage rouge, a dit : « Pense
bien à cela, Kong, maintenant, tu es grand, que dois-tu faire? Tu sais que je
ne suis pas content et toi non plus tu n'es pas content. Tout le monde nous
regarde, avec insistance. » Kong ne savait pas trop quoi faire alors il a
enfoncé les deux mains dans ce beau gâteau d'anniversaire, et il l'a écrasé
jusqu'à ce que la table en soit toute barbouillée...
Ce
soir-là, Kong sentait qu'il avait eu tort. Alors, il a téléphoné à papa, à sa
maison, au camp des soldats. Kong a dit à papa qu'il pensait à lui, et qu'il
voudrait bien dormir avec lui. Papa a répondu que c'était entendu et qu'il
irait le chercher le lendemain. Kong a dit que non, qu'il voulait dormir avec
papa, cette nuit. Papa n'a pas voulu venir le chercher. Alors Kong a, une fois
de plus, jeté le récepteur du téléphone et s'est mis à pleurer à chaudes
larmes. Grand-mère l'a encore grondé et l'a envoyé au lit avec Koy, bien qu'il
fasse encore jour.
La petite
Koy, qui n'a rien compris, a pris son ours en peluche, qu'elle serrait contre
elle et, suivant Kong, s'est mise à monter les escaliers pour aller se coucher.
Cette fois-ci, Koy n'a pas osé avoir l'air de prendre pitié de Kong, parce
qu'elle avait peur d'être encore une fois rabrouée. Presque arrivée à la
dernière marche, son ours lui est tombé des mains ; Koy a alors essayé de le
rattraper, et la voilà, avec son ours, dévalant les escaliers jusqu'en bas !
Grand-mère s'est évanouie, et les tantes se sont mises à courir dans tous les
sens en poussant des cris perçants. Koy était allongée, silencieuse, et ne
faisait aucun mouvement.
C'était à
qui gronderait Kong le plus fort, et croyez-le bien, il a été roué de coups.
Kong s'est refusé de parler à qui que ce soit, même pas à papa, parce qu'il
savait bien que personne ne croirait qu'il n'avait pas poussé Koy du haut de
l'escalier.
Ce soir,
Kong est allé s'asseoir en silence, une fois encore, derrière l'école. Kong a
regardé dans la plaine, et y a vu un petit garçon pas plus grand que lui, à
califourchon sur un buffle. Kong aurait voulu faire l'échange avec lui, que ce
petit garçon devienne Kong : ainsi, Kong n'aurait plus, comme maintenant,
tous ces problèmes. A la maison, tout le monde va le détester, pendant
longtemps encore ; surtout papa.
Les
coquilles d'œuf de caméléon doivent encore être à leur place. Kong voudrait
tant savoir où sont partis les petits caméléons et si, vraiment, ils sont
heureux.
Kong
vient juste de penser qu'aujourd'hui, personne n'est venu le chercher. C'est
sans doute parce qu'ils veulent le punir.
Kong tend
le cou pour regarder ses camarades. Il voit que, dans les lits, tout le monde
dort. Kong glisse alors la main sous son oreiller pour aller y chercher quelque
chose. Kong se retourne et s'installe sur le ventre, puis il pose ce qu'il
vient de prendre sur son oreiller. C'est une poupée pas plus grosse que le
pouce, couchée dans un tout petit berceau. Quand on le pousse du doigt, le
berceau se balance. Kong l'a volé ce soir même à une de ses petites camarades.
Maintenant,
il ne sait pas si Koy, sa petite sœur, est guérie ou non. Kong regarde fixement
la petite poupée qui va, qui vient, et il sent comme une brûlure sur ses
prunelles. C'est vrai, à y bien penser, personne n'aime Kong, sauf Koy.
Kong
pousse encore le petit berceau, il va, il vient ; le voile de ses larmes fait
qu'il croit voir sa petite sœur dormir sur ce lit minuscule, et il pleure...
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